Une tartine avec FISHBACH

Les vagues de la pop française sont toujours nouvelles. L’une d’entre elles, glacée et puissante, m’a amenée Fishbach sur le rivage de l’hiver à l’occasion d’un live à la Maison de la Radio. Trois mois plus tard je retrouvais l’insaisissable chanteuse dans un bistrot de la rive droite, pour entrouvrir la porte qui semble la séparer du reste du monde. Je vous dévoile le carnet de voyage de cette virée  avec le joli petit monstre qui monte, qui monte… 

door-open

Solitude chérie

Flora alias Fishbach, c’est une synthèse inattendue ; le mariage blanc entre la synth-wave et la variété française, entre un bourgeon de fille et un vieux sage chiffonné. S’il fallait contourner les jeux de mots des gros titres sur son nom de famille, on dirait même qu’elle nous évoque un drôle de présage plus proche du chat noir que du poisson d’eau douce. La promesse d’un au-delà, où vie passée et vie future se promèneraient main dans la main en fredonnant une complainte de marin, et où tout à coup la frontière entre tous les contraires aurait été avalée par la terre.

Fragile, têtue, fatale, féerique, sa musique est à son image et se débine sous les étiquettes qu’on tente de lui coller. Depuis la sortie du 12 titres A ta merci (Entreprise) fin janvier, Fishbach fascine parce qu’elle nous retourne tous les compliments et slalome entre les codes : le kitsch est érigé en idéal, la mort prend vie (« On me nomme la mort, me verras-tu me pencher sur ton corps? » – On me dit ‘tu’), l’amour devient la plus haletante des course-poursuite.

Après l’enfance à Dieppe et les années de virages passées à Charleville-Mézières, d’où elle s’échappe régulièrement pour faire l’expérience des boîtes techno à la frontière belge, c’est le temps de la double vie parisienne. Docteur Flora guide les visiteurs du Château de Vincennes le jour, Mrs Fishbach sert des bières à la pression aux oiseaux de nuit du Cannibale, rue Jean-Pierre Timbaud. Deux univers qui, loin de s’opposer, finiront par être complémentaires. Le premier la met face à sa passion de gosse pour l’histoire médiévale et lui fait éprouver la disparition d’un collègue à qui elle chante sa bienveillance mélancolique dans l’intrigant « Le Château » (A ta merci). Le deuxième la conduit à celui qui, quelques années plus tard, sera co-réalisateur de son premier album.

Flora est l’ancienne moitié du groupe punk ardennais Most Agadn’t, dans lequel elle chantait en anglais et cabriolait derrière un Korg. En arrivant à Paris au début des années 2010, seule en tailleur avec l‘I-Pad de son colocataire, elle se met à griffonner une nouvelle page de son histoire musicale. Des lignes de synthétiseur hasardeuses s’empilent, lui donnant l’élan nécessaire pour jeter ses premières mélodies en français. La fan de Balavoine et de Lavilliers s’en donne à cœur joie pour épouser et remanier les codes de ses icônes populaires. Pour les besoins d’un vernissage organisé par une de ses amies, Flora fait son baptême du live toute seule, avec ses compositions ainsi qu’une poignée de reprises. Fishbach est née.

Devinant ses réticences à diffuser et vendre sa musique, un proche à qui elle avait confié quelques maquettes démarche plusieurs labels sans le lui dire. Elle est repérée par l’un d’entre eux, Entreprise, à l’occasion d’un concert à l’Eglise Saint-Merri – le fondateur a vécu cette rencontre musicale comme un véritable coup de foudre. A partir de ce moment tout s’enchaîne : l’E.P. Mortel est enregistré, mixé, produit, encensé. Chaque date jouée donne lieu à trois autres concerts. Sacrée aux Inouïs du Printemps de Bourge, remarquée et envoûtante aux Transmusicales de Rennes, elle jongle entre scènes titanesques et festivals plus émergents tels que Pete the Monkey. Le public et la critique alignent leur fascination pour cet univers de croque-mort vitaminé, au point d’accélérer encore les tournoiements du tourbillon. Fishbach retourne en studio en novembre 2016 pour l’album A ta merci qui sort deux mois plus tard et fait l’effet d’un séisme dans le paysage de la musique francophone. Elle théâtralise le second degré et promène ses comptines vénéneuses de plateaux TV en radios nationales, de chaînes YouTube en showcases. Succès oblige, elle a d’ailleurs laissé sa solitude au vestiaire puisqu’elle est désormais accompagnée (en plus de sa trilogie Vox Phantom / cigarettes / pedalboard) par trois musiciens : Nico Lockhart (claviers, chœurs), la multi-instrumentiste Michelle Blades (basse, chœurs) et Alexandre Bourit (guitare).

Fishbach avant Fishbach à l’Eglise Saint Merri (Paris)

Néons et Moyen-âge

Comme en témoigne son expérience au Château de Vincennes, Flora est mordue d’histoire(s). Celles qui font peur, celles qui donnent à penser, celles qu’on retient parce qu’elle nous suggèrent l’existence d’un monde fantastique en parallèle du notre. Débarquée à l’arrache dans la fameuse bâtisse pour remplacer un ami en fin de contrat, elle gobe en une semaine (!!) les points forts et les anecdotes de sa spécialité attitrée : les prisons d’Etat. « J’adorais raconter aux visiteurs ce qui se cachait derrière les tags qui tapissaient les murs des cellules… Il y a une bonne partie de l’histoire de France gravée dans la pierre si on sait la décoder« . Et c’est justement le but de la manœuvre : traduire, vulgariser. Pendant plusieurs mois elle se fait remarquer en racontant son Château à des groupes de touristes suspendus à ses lèvres. Le livre d’or se remplit de compliments, certains spécialistes la reprennent parfois lorsqu’elle se trompe d’une année ou deux – « c’était pour voir si vous suiviez! » plaisante-t-elle avec une assurance candide.

Habituée à vadrouiller au Château de Sedan – 3ème plus grande forteresse d’Europe avec 35000 mètres carrés sur 7 étages –  lorsqu’elle retourne dans les Ardennes, la chanteuse cultive un goût immodéré pour l’univers médiéval qu’elle n’hésite pas à décliner sous des formes parfois improbables.

En tournée avec ses musiciens, elle se lance à corps perdu dans le jeu vidéo « Assassin’s Creed » : une quête faite de combats et de découvertes, dans laquelle une machine capable de lire la mémoire génétique d’un sujet embarque le joueur vers des voyages dans le temps. En fonction des niveaux et des volets (4 à ce jour), on déambule avec l’attirail approprié à chaque époque du Moyen-Âge à la Renaissance, de la guerre d’indépendance américaine à l’Âge d’Or des pirates old-school. Qui n’a jamais rêvé de taper la discute à Calico Jack autour d’un petit fond de rhum entre deux batailles navales ?

Dans sa musique comme dans ses goûts personnels, Fishbach ne se refuse le kitsch que lorsqu’il dépasse les bornes des limites, Maurice. Oui à Tolkien, oui à J.K. Rowling, non au « too much ». Le meilleur exemple étant la manie des reconstitutions comme on en voit au Puy du Fou ou dans les cachots du Mont St-Michel, qui mettent en scène des guerriers dans des décors de carton pâte : « les mecs tu les vois 5 minutes avant le show encore en train de zoner sur leur I-Phone, c’est pas crédible ! Et puis à l’époque des combats de gladiateurs ou de chevaliers c’était un autre challenge, une autre violence… Rien à voir avec ces spectacles qui étranglent l’imaginaire et ne proposent qu’une version très superficielle de l’Histoire ». 

Typiquement, oui mais non

Désamours fantastiques

En plus des incontournables réflexes médiévaux, Fishbach se retrouve bien dans la période romantique. C’est dans ce monde de légendes, de mélancolie et de contemplation qu’elle nous propose de la suivre à travers ces 2  must-haves. 

1/ Le film « Lady Hawke – la femme de la nuit » (Richard Donner, 1985). 

L’histoire de deux amants chassés du royaume d’Anjou par la jalousie d’un prêtre. Non content de les avoir jetés comme des malpropres, celui-ci conclut un pacte avec le Diable qui va séparer physiquement les deux amoureux : la nuit , Navarre (Rutger Hauer) se transforme en loup tandis que le jour, Isabelle (Michelle Pfeiffer) est changée en faucon. Pas hyper pratique pour faire la conversation.
Le film s’appuie sur une esthétique mi-ringarde (la B.O. est constituée d’un étrange mix entre chants grégoriens d’époque et compositions de rock progressif signées Alan Parson…) mi-féerique qui lui donne une couleur charmante mais divise la critique.
Gros coup de cœur pour les décors : il faut voir ce défilé incroyable, tous les plus beaux châteaux italiens ont accueilli le tournage ou presque…
Bande-annonce ici 

Michel Pfeifer dans « Lady Hawke – la femme de la nuit » (Richard Donner, 1985)

 

2 / L’eau et les rêves, Gaston Bachelard (1942)

« C’est près de l’eau que j’ai le mieux compris que la rêverie est un univers en émanation, un souffle odorant qui sort des choses par l’intermédiaire d’un rêveur.« , écrivait Bachelard dans L’eau et les rêves, véritable invitation à la méditation. Plus encore qu’un état contemplatif, l’auteur cherche à nous expliquer le mystérieux mécanisme de l’imagination grâce à deux principaux concepts : l’imagination formelle (je regarde les nuages et je les rattache à des formes d’objets que je connais)  et l’imagination matérielle (je regarde les nuages et je les pénètre, je deviens un nuage et je vois le monde à travers ses yeux. Je suis Arielle Dombasle, un peu.).

Comme lui, Fishbach est marquée par ce rapport à l’eau et à tout ce qui en découle (il fallait que je la fasse) : « Je me sens bien quand je suis près d’un point d’eau. Seule, j’ai l’espace qu’il faut pour me laisser porter par les bruits, par mes pensées. J’aime aussi la période romantique pour ce rapport à la nature qui a été complètement repensé…« .

Elle avoue avec un grand sourire qu’elle ne se défend même pas si mal en pêche à la ligne. La boucle est bouclée ?

Miranda - The tempest, by John William Waterhouse
Et toi Miranda t’es plutôt imagination formelle ou matérielle ?               Miranda – La Tempête, John William Waterhouse (1916)

 

L’élément intermédiaire

En définitive, cette fille s’est plutôt bien cernée lorsqu’elle chante « Je suis la plage mais pas la mer / Je suis l’élément intermédiaire ». Fishbach est sur le fil, entre le bon et le mauvais goût, entre mélancolie et petits bonheurs. La chanteuse se décrit d’ailleurs avec ironie comme une looseuse en amour : « les gens pensent que je suis hyper dominatrice parce qu’ils ne voient que mon personnage sur scène, alors que j’ai juste vraiment besoin de jouer ce rôle pour reprendre le dessus. Je suis souvent une victime en amour !« . C’est vrai qu’on pourrait avoir du mal à y croire quand on assiste à une de ses messes noires pailletées, tout en regards perçants et en gestuelle dramatique.

Elle évolue également entre vie parisienne à 100 à l’heure et vie ardennaise plus moléculaire, plus proche de l’humain ; depuis quelques années, elle officie régulièrement comme chef de chœur dans les hospices où travaille sa mère en tant qu’infirmière. Avec sa Telecaster elle amuse lesdits « petits vieux » et les fait chanter avec elle les tubes de la variété française quasi sur demande. Un job atypique qui la passionne encore régulièrement et qui se trouve résumer une bonne partie de sa personnalité. « Ma mère est chargée d’accompagner des personnes en douceur vers la mort, j’ai aussi un oncle croque-mort… La mort ne me fait pas vraiment peur, en fait elle fait partie de la vie« , dit-elle avec sagesse.

Voilà, c’est peut-être ça en fait, Flora Fishbach : l’élément intermédiaire entre la vie et la mort, une ombre qui vous suit et vous protège, le fait de savoir que tout peut prendre fin à tout moment mais que c’est précisément ce qui donne autant de saveur au voyage.

En route ?


Crédit photo : Yann Morrisson

 

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